LE FIGARO. - Quelles mesures concrètes proposez-vous pour sortir de cet état de guerre dans les régions orientales de l’Ukraine?
Arseni IATSENIOUK. - L’affaire étant très compliquée, il est difficile de vous donner une réponse simple. Mais il y a une chose certaine: si demain Poutine retire ses soldats et ses agents du FSB du territoire ukrainien, s’il cesse de s’ingérer dans les affaires intérieures ukrainiennes, le problème des régions orientales cessera.
Vous avez, pendant l’été, cherché à résoudre cette crise militairement. Cela n’a pas marché. Pourquoi ne pas essayer la voie de la négociation?
Mais nous avons fait d’innombrables tentatives avec M. Poutine, et aucune n’a vraiment marché ! Il y a eu les rencontres de Genève, de Normandie, de Minsk… Pour le moment, nous n’avons sur la table que le processus de Minsk (cessez-le-feu, libération des prisonniers, arrivée d’observateurs de l’OSCE sur la frontière russo-ukrainienne, NDLR). Ce n’est pas beaucoup. Et l’Ukraine a déjà rempli sa part d’obligations. À la Russie de faire pareil! Bien que ce soit Poutine qui a imaginé lui-même cet accord de Minsk, il a changé ensuite à 180 degrés et refusé de l’appliquer.
Comment expliquez-vous cela?
Poutine ne cesse de souffler le chaud et le froid car, pour lui, l’Ukraine n’est pas autre chose qu’un champ de bataille contre l’Occident. Son but stratégique est de refaire l’empire soviétique et de recréer l’ancienne « sphère d’influence » dont jouissait l’URSS.
Vous ne croyez pas ce que le colonel russe Strelkov a récemment confié au magazine Zavtra, à savoir que c’est lui qui a provoqué l’agitation prorusse du mois de mars 2014, sans ordre préalable du Kremlin, et que Poutine avait été ensuite obligé de suivre à cause de la résurgence du nationalisme russe?
Non. Cela fait dix ans que Poutine songe à envahir l’Ukraine. Cela a commencé avec la « révolution orange » de 2004 à Kiev. Poutine n’a jamais pensé s’arrêter à la Crimée. Les Européens ont naïvement cru qu’il voulait simplement sécuriser la base de Sébastopol pour la flotte russe de la mer Noire. Ils se sont trompés. L’annexion de la Crimée n’est qu’une étape et un moyen pour lui.
Quel moyen?
Le moyen de montrer, à son opinion publique comme à l’Occident, qu’il est un homme fort. Poutine est dans une course désespérée à toujours plus de conquêtes, pour afficher sa puissance à l’intérieur et à l’extérieur. Mais le problème, c’est qu’il n’est pas Superman.
Que pensez-vous de l’effort de médiation entrepris par le président Hollande, dans sa rencontre le 6 décembre avec le président Poutine à l’aéroport de Moscou?
Je dis: attention ! La stratégie de Poutine, c’est d’essayer de jouer les Européens les uns contre les autres, de jouer les Européens contre les Américains, bref de rompre l’actuel front uni existant au sein du G7 pour sanctionner l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Mon premier message est : ne laissez pas Poutine briser cette unité. Pour le moment, il n’y est pas parvenu : les Américains et les Européens viennent d’ajouter un train de sanctions supplémentaires. Mon deuxième message est : ne laissez pas Poutine revenir à son économie antérieure. Les sanctions et la baisse du prix du pétrole ont un énorme effet actuellement en Russie. Poutine, qui est un homme intelligent, qui est un excellent animal politique, comprend parfaitement ce qui se passe. Il sait qu’il est tombé dans le piège du nationalisme russe qu’il a aidé à fabriquer. Il veut en sortir, mais ne sait pas comment.
Ne pensez-vous pas que vous devriez l’aider à sortir de ce piège? Hollande n’a-t-il pas obtenu que Poutine reconnaisse l’intégrité territoriale de l’Ukraine? Les leaders séparatistes eux-mêmes ne parlent plus que d’autonomie. Croyez-vous vraiment que la Russie ait l’intention de s’approprier le bassin du Don?
Bien sûr que nous devons tous aider Poutine à sortir de ce piège. Mais a-t-il vraiment choisi entre la satisfaction à court terme des nationalistes chez lui et l’amélioration durable des relations de la Russie avec le reste du monde? Je ne le pense pas.
Pour ce qui concerne le bassin du Don, Poutine n’en veut pas. Il sait que ces zones ne vivaient que des subventions du gouvernement central. Le niveau de vie y est très bas. La population y est vieillissante. Il y a des mines de charbon peu productives, dont la majorité doit être fermée. Poutine ne veut pas d’États indépendants de Donetsk et de Louhansk, car il sait que ces États seront ensuite dépendants de l’argent russe. C’est une facture qu’il ne veut pas assumer. Il veut simplement garder ces régions d’Ukraine comme une sorte de zone grise, où il peut très facilement faire monter la tension quand cela l’arrange. Il veut que ce soit le gouvernement central ukrainien qui paie la reconstruction des infrastructures détruites, les salaires, les retraites. Poutine a changé de tactique. Il ne songe plus à une invasion militaire de l’Ukraine. Son arme est désormais de tirer parti des mouvements sociaux qui se feraient jour en Ukraine, afin de soumettre le pays aux diktats du Kremlin, à sa vision d’une sphère d’influence, d’un grand ensemble russe. Cela ne marchera pas. L’Ukraine, comme nation indépendante, survivra!
Acceptez-vous que de nombreux citoyens ukrainiens, dans les régions orientales, ne partagent pas les idées de la révolution de Maïdan? Qu’avez-vous à leur proposer?
En France, vous avez la même situation, avec tous ces électeurs qui votent pour Marine Le Pen. C’est la loi de la politique!
Vous ne pensez pas offrir à ces régions davantage d’autonomie?
Je regarde la question de manière différente. Nous ne devrions pas avoir de soldats russes sur notre territoire, point final. Nous n’avons aucun problème pour offrir davantage de décentralisation à nos régions orientales, nous avons voté une loi en ce sens, j’ai voyagé là-bas pour le leur proposer. Je n’ai pas été entendu. Car ma voix a été couverte par le fracas des canons russes!